“Risquer la folie” : rencontre avec Sarah Santamaria-Mertens (“HP” sur OCS)
Il y a des rencontres qui donnent de l’espoir. Une manne rare ces dernières années où le gros de la production française semble s’accorder à dire que tout est trop compliqué, que tout est trop cher, que l’originalité est un luxe. Dans ces mêmes esprits, être scénariste est un privilège, ordinairement réservé aux vétérans, à leurs fils & filles et aux jeunes prodiges. On présentera l’audiovisuel comme une jungle où il faut survivre et accepter les pires conditions pour exister. On jugera ceux qui refusent de céder trop fragiles, trop têtus et on s’étonnera ensuite que les « bons » scénaristes se fassent rare. Alors quand on entend une jeune auteure talentueuse parler de la belle expérience collaborative, constructive et créatrice qu’a été sa série, on ne peut qu’être joyeusement attentif.
Le jeudi 15 décembre dernier, Sarah Santamaria-Mertens fut l’invitée de Backstory à l’auditorium de la SACD, à peine quelques semaines après la sortie de la saison 2 de sa série HP. Co-autrice et co-réalisatrice du projet diffusé sur OCS, Sarah est venue représenter son duo de choc avec Angela Soupe, malheureusement retenue par les aléas de l’hiver. Pour ceux qui aurait la chance de ne pas l’avoir encore vu, HP suit l’arrivée d’une jeune interne, Sheila, brillamment incarnée par Tiphaine Daviot, dans un service hospitalier de psychiatrie. Dramédie pétillante et poétique, la série aussi drôle que touchante virevolte habilement entre réalité et fantaisie, entre plaisir et prise de conscience humaine et sociale. Bien reçue à sa sortie, la saison 2 confirme déjà un beau succès critique et public pour une série à petit budget.
Alors que la guerre des plateformes fait rage, qu’on privilégie la vitesse à la qualité d’écriture, que domine les pitchs vendeurs, les high concept creux, les engagements politiques et sociaux d’apparats, on se demande comment un projet comme HP peut exister et trouver sa place. Brillante anomalie passagère ou cas d’école de la nouvelle série française, le parcours de Sarah Santamaria-Mertens, camarade backstorienne (promo 2013 du MSEA de Nanterre), nous aura donné de précieux éléments de réponse, aussi passionnants qu’inspirants.
La dramédie : “Risquer la folie“
Quand quelqu’un partage votre intérêt pour les hôpitaux psychiatriques et est assez folle pour vouloir en faire une série, c’est prometteur d’une belle collaboration. Quand il se trouve que vous êtes toutes les deux à l’atelier série de la Fémis et que vous cherchez un projet de groupe sur lequel travailler c’est encore plus beau. C’est ce qui est arrivé à Sarah et Angela Soupe.
Attachées à cet univers peu connu, se questionnant sur la définition de la folie et de ses limites, le duo s’est fixé sur un ton et un format surprenants pour un tel sujet. 10 x 26 minutes mêlant drame et surtout comédie pour parler maladies psychiatriques et quotidien de ceux qui l’encadre, il fallait oser. Et comme tout ce qui audacieux mais encore jeune, ça n’a pas parlé tout de suite, à commencer par le jury de la soutenance de l’atelier Fémis qui après un an de travail et de constitution de bible est resté assez froid face au résultat. Un souffle difficile à subir, mais la flamme a tenu bon. Le duo Santamaria-Mertens-Soupe savait qu’il tenait quelque chose de précieux en mains et l’avenir n’aura pas tardé à leur donner raison.
Une fois sorties de l’atelier, les rencontres avec les producteurs se sont enchaînées jusqu’à ce qu’elle trouve la bonne personne pour porter leur idée à l’écran : Christine de Bourbon Busset de chez Lincoln TV. Pourquoi la bonne ? Parce plus que croire au projet ou à son potentiel, Christine a cru en celles qui le portaient. Une rare et précieuse confiance qui n’aura eut de cesse de porter ses fruits, du le début de leur collaboration à la sortie de la dernière saison, comme on pourra le voir.
La production : une série saine dans des conditions saines
En bonne scénariste, Sarah était presque déçue de ne pas avoir de drame à nous raconter. En effet d’après elle, la première saison d’HP où Angela et elle n’étaient encore que scénaristes s’est développée dans d’excellentes conditions : vraie liberté laissée sur l’écriture, consultant professionnel engagé pour les assister, droit de regard conséquent sur la production, participation active au casting, présence au tournage… Les auteures ont pu rencontrer Emilie Leblet et déterminer qu’il s’agissait de la meilleure partenaire pour réaliser la saison l. Un choix judicieux quand on sait que les réalisateurs masculins rencontrés avant elle voulaient faire une super-héroïne de Sheïla, l’héroïne de la série, alors que c’est justement son côté looseuse qui fait tout son charme et sa justesse.
Pour une fois, pas d’invisibilisation des auteures. Pas de négociation éreintante et acharnée, pas de dévoiement du projet, pas d’egos surdimensionnés. Même OCS est resté très modéré dans ses retours (pour moins de drame et plus de comédie, évidemment). Surprenant et réconfortant quand on sait l’habitude qu’ont beaucoup de diffuseurs à forcer la main des petites productions et de leurs jeunes auteures pour faire entrer leurs projets dans leur désirs de programmation. Pour une fois, on semble comprendre que le travail de création d’une série est assez ardu pour qu’on ne lui ajoute pas d’angoisses supplémentaires.
Le sujet : construire sa réalité
En effet, dramatiser efficacement l’hôpital psychiatrique tout en respectant sa réalité et ceux qui la composent n’est pas chose aisée. Tabou dans la sphère publique, caricature outrancière dans les cinémas d’horreur et de thriller, l’hôpital psychiatrique est enrobé de clichés et de fantasmes dès son évocation. Coupables de ces préconceptions mais du coup conscientes du travail de déconstruction à mettre en place, les deux scénaristes n’ont pas hésité à se confronter directement à leur sujet.
Dès le développement enclenché, Sarah et Angela se sont rendues en hôpital pour se familiariser avec le lieu, son vocabulaire et ses espaces, ses résidents et ses passagers. Patients, familles, internes, psychiatre… Tout un monde de grandes solitudes, de relations brisées, de peurs, d’angoisses, de colères, complexifié par son invisibilisation et son manque de moyens. Cette démarche active de recherche leur a non seulement permis de prendre conscience de la réalité mais aussi de trouver des référents vers qui se tourner en cas de doute ou de blocage. Un travail essentiel quand l’on se rappelle que la fiction nous laisse entrevoir temporairement ce que des personnes réelles vivent quotidiennement.
Les personnages : dans une tête, tout un monde
En comparaison avec d’autres œuvres de fiction, 4 heures et 20 minutes peuvent paraître confortable pour intégrer ces sources dans un récit. Mais augmenter la durée ne fait qu’augmenter les attentes. Maintenant habitués à ce format, il nous est facile d’oublier que la série reste une épreuve titanesque d’écriture et de réalisation, surtout avec des moyens limités. La méthode de Sarah et Angela pour ne pas s’y perdre : se concentrer sur les personnages.
Comme nous l’a rappelé Sarah, les séries à petit budget ne peuvent pas accumuler les grands tableaux de groupe ou les spectaculaires prouesses de mise en scène. Pour exemple, inclure un vrai tigre dans les couloirs de l’hôpital lors du tournage de la saison 1 sera longtemps resté une lubie pour les auteures elles-mêmes. Si ce n’était pour l’enthousiasme que l’image a suscité dans les esprits de la production, cette image fantastique aurait très bien pu rester dans les tiroirs, évitant ainsi risques et surcoûts. Sur une série de ce gabarit, ce sont plus les moments d’introspection, de face à face ou de petits comités qui priment. Cette contrainte, combinée aux grandes attentes des spectateurs, exige de chaque personnage qu’il ait une richesse de caractère et une profondeur psychologique qui rendront passionnantes chacune ses interactions. Le simple et le trivial deviennent ainsi des champs d’exploration de l’humain. Une approche particulièrement subtile et complexe du rapport humain qui, on l’aura compris, convient parfaitement aux thématiques de la série.
Les auteures : double personnalité
Contrairement à ce que l’on peut penser, quatre mains ou plus ne facilitent pas forcément l’écriture. Sans coordination, l’accumulation de points de vue peut complexifier voire rendre impossible le développement d’un projet. L’écriture collaborative demande de s’adapter à l’autre, d’harmoniser les rythme de travail, d’assumer ses faiblesses, de jouer de ses forces. Faire fonctionner un duo, affinités ou non, est un travail à part entière. Un précieux équilibre à trouver quand l’on sait le nombre incalculable de réécriture et de blocages que le développement qu’une série peut susciter. Ici, l’une écrit plus et plus vite, quitte à réécrire ensuite quand l’autre prend plus son temps pour être plus sereine du résultat. Écrivant chacune de leur côté ou s’attaquant ensemble à la continuité dialoguée, alternant constamment entre celle qui dicte et celle qui écrit, Angela et Sarah ne se limite à aucune méthode précise. Elles s’adaptent à leurs conditions du moment, à l’urgence des rendus, à la disponibilité et l’énergie de l’autre.
Une fructueuse collaboration donc qui fera de nouveau ses preuves lors la saison 2, où le duo s’ajoutera la complexe casquette de réalisatrice. D’après Sarah, la confiance que les deux auteures s’accordait l’une à l’autre a allégé l’angoisse de l’énorme tournage crossboardé (tournés dans un ordre non-chronologique) qui les attendait. Une relation de confiance qui a donc convaincu la production et rassuré acteurs et techniciens, ravis de voir les rênes du projet confiés à celles qui lui ont donné vie.
Conclure
Sans cette confiance mutuelle entre tous les acteurs impliqués dans le projet, des autrices à la productions, des acteurs aux personnes réelles qu’ils incarnent, HP n’aurait probablement pas pu exister. Projet de cœur initiée et portée par ses auteures, la modeste série trouve fièrement sa place et maintient glorieusement son cap au milieu des vagues de projets commerciaux et opportunistes dont le nombre double d’années en années.
Au gouvernail du navire, Sarah Santamria-Mertens pense déjà à la fin du voyage pour la prochaine saison. En bonne dramaturge, elle sait que ce n’est pas un tort d’achever une aventure, aussi belle soit-elle, mais une forme de respect envers ses personnages, pour son sujet et pour son public. La finalité d‘HP fait partie de son identité, de son charme, de sa force.
Depuis le début de l’aventure, Sarah aura approché la montagne qu’est la série une étape après l’autre. Chaque opportunité rencontrée est saisie, chaque aspect travaillé, chaque dialogue affiné. Ayant une conception généreuse de l’oeuvre, Sarah refuse de réserver ses meilleures séquences à un futur incertain et préfère donner le maximum tout de suite. Mieux vaut une excellente mini-série qu’une moyenne série interrompue. Ainsi, pas de cliffhanger gratuit et racoleur pour préparer les sempiternelles suites, prequel, spin-off, remake ou reboot. Les personnages, leurs poésies et leur richesse se suffisent à eux-même.
Élie Katz