Relation auteurs-producteurs : rencontre avec Fanny Liatard & Jérémy Trouilh et Julie Billy (“Gagarine”)
La relation auteur-producteur : de l’importance de rencontrer LA bonne personne ! Il en est de la relation auteur-producteur comme dans toute relation humaine : il s’agit de trouver la bonne personne, celle qui partage la même vision et la même sensibilité que soi. Voilà le message essentiel de la conversation avec Jérémy Trouilh, Fanny Liatard et Julie Billy, à l’origine du film “Gagarine” et organisée le 24 janvier dernier à l’auditorium de la SACD.
Une évidence…
La rencontre entre les auteurs de Gagarine et Julie Billy a été un coup de foudre professionnel. Une évidence. Nous sommes en 2015. La productrice de Haut et Court s’intéresse aux cités, un univers qu’elle connait bien car elle y a grandi. Elle parcourt le blog XXX quand elle découvre le court-métrage Gagarine consacré à la cité d’Ivry sur Seine, vouée à une destruction prochaine. La parole est donnée aux habitants. Réalisé avec un tout petit budget, le film vient de remporter le grand prix du concours HLM sur court. Profondément touchée par sa poésie et sa tendresse, Julie contacte les deux auteurs pour les rencontrer. « Au départ, c’était par curiosité. Ensuite, c’est devenu une nécessité ». Nécessité de les accompagner dans la suite de leur parcours. Nécessité de les aider à faire entendre leur voix. Issus de la même génération (ils n’ont pas encore 30 ans à l’époque), la compréhension est immédiate. Fanny et Jérémy parlent à la jeune productrice de leur projet d’un long-métrage inspiré du court. Persuadée, comme eux, qu’il y a encore beaucoup d’autres choses à raconter, Julie veut en être la productrice. Entre temps il y a deux autres courts-métrages. La nomination de Chien Bleu aux Césars, en 2018, leur donne une légitimité qui les aide à financer le long.
… et beaucoup de confiance
L’écriture de Gagarine prendra quatre ans. C’est beaucoup et peu à la fois, par rapport à certains films qui mettent dix ans à se faire. Pendant ces quatre années, le soutien de Julie Billy et de Carole Sotta, leur autre productrice, est indéfectible. Soutien professionnel et artistique, mais aussi psychologique. L’écriture d’un long s’apparente à un marathon avec, au bout, une incertitude quant au résultat final. C’est ce qui rend les choses si difficiles. « Un film, quand on l’écrit, on ne sait pas si ça va se faire ou pas. L’essentiel, c’est d’être sincère avec l’envie de raconter les choses que l’on écrit » (Fanny Liatard). Ce qui rend possible ce soutien, c’est une bonne connaissance de l’autre et une confiance partagée : « Il faut un temps de connaissance entre les producteurs et les réalisateurs pour affronter les coups durs. Il est important de bien se connaitre » (Julie Billy). En 2019 Gagarine sort en salle, avec le succès qu’on lui connait. Depuis, Julie (qui a monté sa propre société de production) continue d’accompagner le duo de scénaristes-réalisateurs, qui travaillent actuellement à l’écriture de leurs deux nouveaux longs métrages (un qui sera tourné en France, et le deuxième aux Etats-Unis). Avec les années, leurs liens se sont renforcés. Des liens faits de respect, de confiance et d’envies partagées. « Je ne pourrai pas accompagner un auteur dont je ne partage pas l’approche artistique, même s’il a du talent » confie Julie Billy. « Mes propres goûts doivent rejoindre ceux des auteurs que je produis, sinon ça ne peut pas fonctionner ».
Savoir tenir la distance
Comme dans tout marathon, pendant l’écriture d’un film, le plus important est de ne pas s’épuiser. De tenir dans la durée et de conserver un regard frais sur l’histoire qui s’écrit. « A force de lire, il arrive qu’on épuise nos regards. Quand on rentre en période de financement, c’est bien de faire appel à un lecteur extérieur qui apporte un peu de fraicheur » confie la productrice. La clé pour ne pas épuiser son regard ? « Le producteur doit accompagner tout en gardant une certaine distance ». Equilibre subtil. Pour leur donner une impulsion nouvelle, Fanny et Jérémy font entrer un troisième scénariste dans l’aventure, Benjamin Charbit, dont les retours sur leurs premières versions de travail leur plaisent beaucoup. Une collaboration constructive, qui leur permet de continuer à avancer et de lever certains blocages.
Une intime conviction
Cette sincérité sur l’envie d’écrire une histoire, Jérémy Trouilh l’appelle une intime conviction : « Même dans les moments difficiles, les moments de doute, on savait, au fond de nous, que le film allait se faire ». Depuis leurs toutes premières collaborations, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh partagent ce même feu sacré. Voilà pourquoi leur duo fonctionne si bien. « Je ne sais pas, à la lecture, qui a écrit quoi, quoi vient de qui ! » dit Julie Billy au sujet de la relation de travail symbiotique entre les deux auteurs. « Le film est un art collectif. Il faut savoir se décentrer. Etre à plusieurs, ça anime » (Jérémy Trouilh). Se décentrer et sortir de son environnement quotidien, pour mieux se consacrer à son histoire. Pour l’écriture de Gagarine, le gros enjeu est de trouver un équilibre entre réalisme et onirisme. Il arrive à Fanny et à Jérémie de s’organiser des résidences d’écriture, loin de chez eux, hébergés par des amis qui leur prêtent un appartement, une maison. En 2017 ils participent à la Résidence organisée par Premiers Plans, à Angers, mais « qui arrive un peu tôt » regrette Fanny. « Pour les résidences, il faut choisir le bon moment, quand la maturité du projet s’y prête ».
La morale de l’histoire…
Si Fanny et Jérémy ont eu la chance qu’une productrice vienne à eux, la chance de rencontrer la « bonne alliée », leur parcours dit une chose importante : pour arriver à toucher un producteur, et à capter son attention, il est primordial de s’adresser aux bonnes personnes. De cibler à qui l’on envoie son scénario : à des producteurs dont les thématiques explorées, et les univers de prédilection, entrent en résonance avec les siens. « Ça ne sert à rien d’inonder tous les producteurs de Paris. Le taux de retour sera très très faible » (Julie Billy). Bien cibler et puis, si l’on peut, rencontrer les producteurs pour leur présenter son projet « en vrai ». Les festivals, tables rondes et autres rencontres professionnelles, sont un très bon moyen de le faire. Car si scénariste est un métier d’écriture, le cinéma est avant tout une histoire de rencontres, de relations humaines et de feeling.
Pauline Thomann