“S’emparer de la rareté” : rencontre avec Robin Campillo
Ce vendredi 10 mai 2019 à 19h, une petite mousson se déversait dans les rues de Paris alors que nous attendions impatiemment l’arrivée de Robin Campillo, dans l’auditorium du Café des Auteurs de la SACD. À l’occasion de cette rencontre avec les membres de l’association Backstory, l’auteur de 120 battements par minute, Eastern Boys et Les Revenants est revenu sur ses films, sur ses collaborations ainsi que sur ses méthodes de travail.
Robin Campillo est réalisateur, scénariste et monteur de ses films, on le retrouve ainsi au cœur de chacune des « écritures » de ses œuvres. Trois casquettes qu’il entretient depuis le début de sa carrière avec diverses collaborations ; comme monteur et scénariste pour les films de Laurent Cantet (Entre les murs, 2008) et de Gilles Marchand (Qui a tué Bambi ? 2003), ses anciens camarades de l’IDHEC, mais aussi avec Rebecca Zlotowski pour Planétarium.
« Seul ça n’avance pas », confie-t-il.Pourtant, c’est seul que Robin Campilo écrit ses films, tout en tenant un dialogue, tout du long avec ses compagnons de toujours, Gilles Marchand et Laurent Cantet ou le critique et militant, Philippe Mangeot dans le cas de 120 battements par minute. Avec des post-it et un mur, il progresse dans son écriture, regroupant sur un même plan les scènes, les personnages mais aussi des notes en tout genre (tel qu’« un avion dans le ciel »), un procédé qui donne sa couleur au film et qui rappelle la timeline du monteur.
Les Revenants a le rythme d’un « jour étouffé, d’un été figé » dit-il, un rythme qu’il dit aussi retrouver dans 120 battements par minute. Tandis qu’Eastern Boys, ce quasi huis clos parisien,lui apparaît comme « un film où l’on rumine ». Quels que soient leur couleur et leur rythme, ses films embrassent des parcours marginaux, ou des relations hors normes et complexes, qui rappellent à la société leur droit à exister.
Dans son premier film, Les Revenants, fable sociale et fantastique qui traite du retour à la vie d’un groupe de personnes, il a porté son intérêt sur le « questionnement mécanique et pratique » de cet événement plutôt que sur sa raison, inexistante par ailleurs. Ce soir là, il fait l’analogie entre son film et l’éclosion des tri-thérapies pendant l’épidémie du sida, qui rendaient à la vie et à leur quotidien, des personnes promises à une mort certaine.
Après ce premier film d’une grand maîtrise, Robin Campillo nous apprend pourtant avoir fait son second film, Eastern Boys, contre lui. Contre la maîtrise totale et le « film programmatique », et, avec l’avènement du numérique, qui lui donnait l’occasion de se laisser envahir par les autres.
Qui sont ces « autres » ? Pour Eastern Boys, c’estune bande de jeunes, venue d’Europe de l’Est, qui s’apprête à dépouiller un homme. Dans une Gare de Nord, que de longues errances du réalisateur, ont transformé en « palais », des personnages « trainent dans produire de fiction » jusqu’à ce qu’une rencontre pousse le héros, victime consentante, à ouvrir la porte de chez lui à une fête dantesque, qui laissera son appartement vide et dévasté. Mais c’est aussi à l’imprévu qu’il a ouvert la porte, avant de se perdre, entraînant le spectateur avec lui dans son désir, il s’est laissé dépouiller pour faire naître l’improbable.
Dans ce film Robin Campillo voulait que son « cinéma s’empare de la rareté ». Un cinéma qui rend compte du réel dans toute sa complexité, en commençant par employer la diversité linguistique d’un pays comme la France. La suite de l’intrigue se déroule dans l’appartement désossé, et tout ce qui en fait la chair n’est plus qu’une lente évolution des sentiments, entre mutisme et gestes mesurés ou imprévus, c’est là que ce fameux « ruminement » s’installe.
Un ruminement que Robin Campillo dit aussi colorer 120 battements par minute, mais dans la première partie, c’est plutôt avec la liesse des groupes qu’il semble renouer. Après s’être laissé envahir dans Eastern Boys, le réalisateur semble là s’affirmer dans les scènes d’assemblée. Il profite de longues répétitions pour laisser une place à l’improvisation, et pour réécrire au besoin, mais surtout pour laisser le temps à un collectif de se façonner.
Pour l’occasion il a rassemblé comédiens professionnels et non-professionnels, et en faisant confiance à la sensibilité de chacun, sensibilité proche des communautés LGBT, il vise juste. Au tournage il se tient au texte, raconte-t-il, découpe consciencieusement sa séquence, laisse une caméra « voler » des images, organise et orchestre les autres. Il apporte ainsi le rythme et l’énergie d’une mise en scène, à l’authenticité presque documentaire d’une séquence très proche du réel.
Dans 120 battements par minute, Robin Campillo confronte enfin l’épidémie du sida et ses années de plomb qui coïncidèrent avec son entrée à l’IDHEC et qui lui ôtèrent presque son envie de cinéma, « presque », heureusement. À travers l’association Act Up, c’est par le jeu et la joie qu’une génération s’est sauvée, troquant son statut de victimes isolées pour celui de militants engagés. C’est à ce jeu qu’il rend hommage et que l’on retrouve au cœur du film. Un jeu joyeux mais aussi plein de rage, qui finira par quitter le corps de Sean, héros charismatique du film. « La maladie s’accroche à son corps jusqu’à le laisser sans vie », un corps qui ne joue plus, et qui n’intéresse plus la caméra. C’est le cruel constat de cette séquence de fin, et un choix fort du réalisateur, quand amis et amants se trouvent rassemblés « autour d’un corps qui n’a plus d’importance », et sur lequel la caméra ne fait plus le point.
120 battements par minute, est un film cathartique, peut être. Accueilli dans l’allégresse, il reçoit le Grand Prix à Cannes en 2017. Cannes, où Robin Campillo s’apprête à retourner, comme membre du Jury 2019 de la sélection officielle. Il s’y prépare avec impatience, « c’est une proposition qu’on ne refuse pas », une expérience qu’il se préfigure joyeuse. Sûrement que son cinéma, trouvera résonance dans ceux d’autres cinéastes, comme celui d’un certain Bong Joon-ho.
Claudia Lopez-Lucia