Entre scénaristes, les rendez-vous “Ex Machina” de Backstory

November 30, 2020

L’auteur ermite est un fantasme. Celui qui s’isole dans un phare ou une cabane sombre en haut d’une falaise, sans réseau ni wi-fi, avec comme seules amies une vieille cafetière et une encore plus vieille machine à écrire. Celui qui gratte sans s’arrêter, comme possédé par la fameuse inspiration. Pour être honnête on aimerait y croire aussi.

Mais ce serait occulter la partie la plus importante et la plus intéressante de l’écriture : l’échange. Suivez un auteur dans son travail et vous verrez que l’isolement n’est qu’une étape intermédiaire dans un long processus ô combien rempli de discussions et de partages. Raconter c’est l’exact inverse de la solitude, puisqu’il s’agit de sortir une idée de soi pour l’offrir aux autres.

La vraie méthode n’est pas un secret. Écrire, se relire, réécrire est un bon début. Mais il faut surtout être lu pour s’assurer que l’on soit comprit, entendu, au moins jusqu’à ce que quelque chose ait résonné chez le lecteur et futur spectateur. Se faire lire est une part indissociable de l’écriture, ce qui fait du fameux « retour » une manne sacrée pour l’auteur. Tout s’y joue. Ce qui marche, ce qui ne marche pas, ce qui titube, ce qu’il reste à faire… Rendez-vous incontournable, il importe que le retour soit constructif, réfléchi, qu’il mène à de bonnes pistes de re-travail.

Une association de scénariste digne de ce nom ne pouvait donc pas se passer de ce rendez-vous. Encore moins une association alumni comme Backstory dont les membres ont partagé un parcours d’études fondé sur ce cycle constamment renouvelé d’écriture-retour-réécriture. C’est pour cela que Backstory a mis en place l’Ex-Machina.

Conçu comme une soirée d’échanges en physique mais parfaitement adaptable en visioconférence, l’Ex-Machina est un rendez-vous régulier durant lequel les membres de l’association participants s’échangent des retours sur leurs divers projets. À sa base, un principe  d’équivalence : un retour donné, un retour reçu.

Notre équipe se charge de récupérer les informations sur chaque projet (titre, format, niveau d’avancement, objectif d’écriture ou public visé…) puis créée des binômes lecteurs-auteurs en fonction des affinités d’univers ou de formats scénaristiques.

Nous nous chargeons ensuite de mettre en contact ces binômes pour qu’ils s’envoient eux-mêmes leurs projets (et oui, confier son projet à quelqu’un c’est comme une garde d’enfant, on préfère quand le baby-sitter vient non-accompagné). Commence alors la période de lecture où chaque participant s’applique à préparer un retour de qualité dans l’espoir que les autres feront de même. Arrive alors la soirée en question, l’Ex-Machina.

L’idée est de se retrouver tous ensemble dans un salon, réel ou virtuel, puis de se séparer en plusieurs petits groupes pour une première vague d’échange. Au bout de trente minutes et après une courte pause, les lecteurs deviennent auteurs et vice-versa pour une seconde vague de retours. En seulement une heure (et quelques), quatre à dix projets ont été auscultés, discutés et sont prêt à être retravaillés. L’Ex-Machina s’achève mais les participants sont libres et même encouragés à rester pour continuer d’échanger entre eux. Ce qu’ils manquent rarement de faire : au delà de leur statut de bons lecteurs, les scénaristes sont d’abord et avant tout compagnons de galère.

Nous sommes donc loin de l’image de l’auteur-ermite, et heureusement.

Il ne s’agit en effet pas simplement d’offrir un système de retour, nous voulons créer un espace de dialogue qui solidifie l’esprit de collaboration entre auteurs, qu’on pousse trop souvent à l’isolement de nos jours. On préféra toujours à un scénariste la mythique figure multifonction de l’auteur-réalisateur, héritée de la plus si Nouvelle Vague. On vous dira de garder vos idées pour vous, bien au chaud dans votre tête, voir dans un tiroir pour éviter le plagiat. Privé d’interlocuteurs, il ne vous reste que la production et la réalisation pour parler de votre projet qui, aussi bienveillantes soient-elles, resteront par fonction intéressées dans leurs retours. Mais dans le monde comme dans l’écriture, l’heure n’est plus à l’isolement mais bien au partage.

En effet, les contenus sont de plus en plus nombreux, les formats se renouvellent et sont produits de plus en plus rapidement. L’écriture de séries, de jeux vidéos et même de films n’est plus l’affaire d’une ou deux personnes mais d’équipes entières d’auteurs partageant univers et savoirs pour créer des œuvres monumentales à un rythme spectaculaire. Déjà isolé, l’auteur peut vite se retrouver pris dans un raz-de-marée où il peut être difficile de trouver ses repères et de ce fait être encore plus coupé du monde.

Conscient de cette situation, Backstory veut donner des repères à nos jeunes auteurs qui découvrent ce monde ainsi que de nouvelles voies à nos plus anciens qui ne le connaissent que trop bien. Échanger pour mieux créer, dialoguer pour mieux comprendre, le tout autour d’une table (ou d’un appel en visio, et oui rien ne nous arrête), un verre à la main.

Élie Katz