“Briser l’isolement” : table ronde au Festival de la Fiction de La Rochelle 2024

October 27, 2024

Chaque année, de plus en plus des alumnis du MSEA viennent poser leur ancre à La Rochelle. Il n’est pas rare en effet de croiser à ce foisonnant festival de la fiction des petits contingents de nos créateur.ices, venus proposer leur projet ou présenter leur profil à ce petit monde de la télévision et des séries. Backstory aussi était présent à cette édition 2024, non seulement pour soutenir ses camarades, mais surtout pour accomplir une autre de ses missions fondamentales : défendre et promouvoir le métier de scénariste auprès du public et du milieu de l’audiovisuel. Objectif qui cette année a pris la forme d’une table ronde, organisée par la FAMS, sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur et contre lequel nous luttons chaque jour : l’isolement des scénaristes.

Elie Katz (scénariste et co-président de Backstory), et Remi Grelow (scénariste et trésorier de Backstory), ont eu l’honneur et la chance d’échanger avec trois invité.e.s de marque : Guillaume Bègue, président de l’association Les Cinéastes de la Réunion, Myriam Sidikou pour le Syndicat des Scénaristes et Garance Smith-Vaniz, alumni de la Cité des scénaristes et co-présidente de l’association Lecteurs Anonymes. Trois profils d’auteur.ices captivants dont les seuls parcours professionnels ont suffit à nous éclairer sur les réalités du scénariste moderne et les autarcies inhérentes (ou non) à la profession. Retour sur cet étonnant constat et les réponses qui lui ont été apporté.

L’échange a donc démarré sur un témoignage, allant du plus proche de l’écriture même au plus éloigné. Force a été de constater que cette figure de l’auteur-ermite persiste encore beaucoup dans les imaginaires romancés du public, mais aussi malheureusement, dans l’esprit de beaucoup de financiers. Quel mal y-a-t ‘il à héroïser ces scénaristes s’isolant du monde pour recevoir l’inspiration divine et redescendre de leur montagne pour délivrer la bonne parole ? Eh bien tout simplement, c’est une image qui occulte le travail réel du scénariste, et par là, qui fausse sa valorisation. Nous avons tous convenu autour de la table : écrire demande bien plus que de s’asseoir seul à une table et noircir du papier pendant des heures. C’est un travail qui prend de multiples formes, qui demande du temps, de la recherche, des rencontres, des formations, des échanges, des retours, des réécritures… Pas un tunnel ou une montagne mais un trajet incertain, aux obstacles et à l’objectif souvent à découvrir. La notion de génie ou d’inspiration passe aussi complètement au-dessus de l’expérience de l’auteur, de tout son travail effectué auparavant ainsi que de son investissement personnel dans ses projets. Comme toute personne travaillant dans l’audiovisuel français aujourd’hui, aucun scénariste ne peut se permettre de se concentrer sur un seul projet. Il doit nécessairement, pour vivre, les accumuler, en espérant que seulement certains d’entre eux fonctionneront. C’est un mode de vie qui implique de multiplier ses contacts et ses centres d’intérêts et d’attention, tout l’inverse de cet engagement quasi-fanatique supposément nécessaire à la création d’un unique projet de qualité. Cette concentration totale attendue (mais non nécessaire) et l’isolement qui l’accompagne devraient donc avoir un coût que peu de projets peuvent aujourd’hui se payer.

Notre vif échange s’est poursuivi sur une autre forme de claustration particulièrement dangereuse pour les auteur.ices débutants et émergents : le manque d’accès aux codes informels et le flou entourant les règles régissant la profession. On attend bien plus des scénaristes aujourd’hui que par le passé, souvent sans qu’on s’en rende compte. La maîtrise de l’aspect oral, du relationnel et du situationnel sont devenus essentiels. Il faut savoir quoi dire, à qui, dans quel ordre, quelles pièces montrer ou garder pour soi, quels comportements accepter, quelles attitudes fuir… Ne pas connaître ces règles d’emblée implique de les apprendre sur le tas, et souvent dans le dur. Ces expériences, allant du désagréable au tout à fait décourageant, peuvent pourtant être évitées. Et la première étape de cette prise de contrôle est justement la sortie de l’isolement. C’est ce pas fait vers l’autre, ou ce pas des autres fait vers soi qui liait le véritable début de parcours des scénaristes autour de notre table, à commencer par l’entrée dans le dialogue et l’échange d’informations entre confrères et consœurs.

Nous nous sommes mis d’accord sur cette nécessité qu’ont les auteur.ices à se constituer un réseau solide, non seulement pour s’assurer leur intégration professionnelle et multiplier leur chances d’être inclus sur des projets, mais surtout pour mieux saisir la réalité d’un métier en constante évolution. Rapidement, il a été question de la centralisation parisienne et du mirage qu’elle fait de la profession de scénaristes. S’il est déjà difficile d’être intégré au milieu lorsque l’on travaille dans la capitale ou proche d’elle, cet essentiel travail de réseautage devient d’autant plus complexe lorsqu’on s’en éloigne, particulièrement dans des régions mettant peu en avant leurs auteur.ices et leur industrie audiovisuelle. Pour être auteur, du moins pour en vivre, il faut pouvoir à minima être vu et lu. Pouvoir être appelé et aller chercher. Certaines régions, certains profils et certaines histoires ne sont pas la priorité de l’audiovisuel français et disposent de bien moins d’opportunités. Ainsi, pour combattre cet isolement régional mais aussi ces discriminations socio-culturelles, il est nécessaire de faire groupe. De s’unir pour se faire entendre des publics, des producteurs mais aussi des régions et des diffuseurs.

Guillaume a ainsi pu nous raconter son travail titanesque pour monter son association les Cinéastes de la Réunion avec ses camarades et les résultats phénoménaux que cette union a permis. L’association est en effet devenue après de multiples efforts, une actrice majeure de l’audiovisuel régional, ayant permis à de nombreux projets locaux de prendre forme et d’aboutir. Myriam a quant à elle pu nous expliquer les outils concrets que peut fournir un syndicat de scénariste ainsi que nous décrire avec passion la sociabilité et la force collective que celui-ci peut offrir à une jeune autrice faisant face à un milieu parfois impitoyable. En tant que co-présidente de Lecteurs Anonymes, Garance a pu nous expliquer comment le rassemblement des lecteur.ices et consultant.es a permis l’établissement de normes pour cette branche de la profession. Et en tant qu’alumni de la Cité des Scénaristes, elle a pu échanger avec nos backstorien.ne.s sur l’importance d’être formés aux codes du milieu et de créer des liens solides avec ses camarades de formation.

Mais l’heure de rencontre s’achevait déjà. Riche en histoires et expériences, celle-ci a quand même eu le temps de pointer du doigt les problèmes liés à l’isolement des scénaristes mais surtout les solutions concrètes pour contrecarrer cette supposée fatalité. Mais si ce bel échange terminait sur une note d’espoir, il s’accompagnait aussi d’une inquiétude. Tous les organismes de scénaristes présents et/ou représentés autour de la table et d’autres dans la salle et à ce festival font les frais d’un désengagement des scénaristes. Malgré le succès des actions, de plus en plus de scénaristes abordent les organismes d’entraide, le plus souvent bénévoles, avec une approche clientéliste, attendant d’obtenir des services sans réaliser la fondamentale contrepartie demandée. L’importance de soutenir ces groupes par une aide minime de suivi et de soutiens actifs des actions menées, par des adhésions ou des soutiens matériels et/ou financiers (le plus souvent assez légers) ou par de l’implication directe, du temps donné et des idées partagées. Alors s’agit-il d’une tendance passagère due à un climat politique et économique archi-concurrentiel, d’un effet post-confinement ou de quelque chose de plus profond… Nous laissons à une prochaine table la mission d’y répondre. En attendant nous sommes revenus chacun.e à nos projets personnels et associatifs, forts de cette fructueuse interaction et des futures collaborations qui nous l’espérons en découleront. Le bonheur dans, et par l’écriture est possible, mais il devra se faire ensemble.

Elie Katz

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