“Chercher l’organique” : rencontre avec Arnaud Malherbe (“Ogre”)

September 2, 2022

Le 25 avril 2022, Backstory l’Association organise avec en partenariat Grand Prix Climax, une rencontre publique avec le scénariste et réalisateur, Arnaud Malherbe, à l’occasion de la sortie de son premier long métrage “Ogre” au cinéma. Le film vient de sortir en DVD et Blu-ray, retour pour l’occasion sur cette rencontre.

Le scénariste et réalisateur a commencé à étudier le Droit avant de se tourner vers le journalisme puis enfin vers le scénario. Après avoir baroudé comme scénariste de télévision et de bande dessinée, il passe à la réalisation avec ses premiers court-métrages. Le deuxième, Dans leur peau, avec Fred Testot, pour lequel il reçoit, entre autres, le Grand Prix du Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2008. En 2009, il écrit et réalise son premier téléfilm, pour Arte, Belleville Story, qui reçoit les prix de « Meilleur Téléfilm » et « Révélation masculine » pour Paco Boublard au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2009. Fort de ces succès, il continue de créer des fictions pour la télévision, Chambre noire, unitaire pour France 2, avec Jonathan Zaccaï et Armelle Deutsch (2012), la série Chefs, co-créé avec Marion Festraëts ou encore Moloch, thriller fantastique qu’il coécrit avec Marion Festraëts pour Arte, avec Olivier Gourmet, Marine Vacth et Arnaud Valois (2020). En parallèle, il commence l’écriture de son premier projet de long-métrage de cinéma, Ogre mais peine à trouver des financements, souvent difficiles à obtenir pour un film de genre en France.

En 2017, son projet de scénario remporte le Grand Prix Climax, prix honorifique accueilli par le festival du PIFFF, organisé par des scénaristes passionnés depuis 2016 et qui défend et promeut des projets de film de genre français ; « C’est la première fois que des êtres humains issus du métier semblaient enfin comprendre le projet et son potentiel ! » explique l’auteur, « Après des années de développement, le projet empilait des retours absurdes et hors sujets des différentes commissions où je les envoyais, notamment à celles du CNC… Cela nous a réassuré d’avoir le Grand Prix Climax ! ». Après cela, les choses s’enchainent avec davantage de bonheur, avec l’entrée dans le jeu de 2.4.7 Films ou encore de The Jokers Films. Les aides et les financements arrivent enfin et le projet part en production : « Avoir eu des réalisateurs comme Quentin Dupieux ou Julia Ducournau dans les commissions suivantes a probablement contribué à décrocher des aides, ces personnes sont bien plus connaisseuses et sensibles au cinéma de genre. »

« Le projet a depuis Climax été réécrit… J’ai d’ailleurs oublié l’ancienne fin du scénario mais mes obsessions sont restées intactes, notamment celle de tourner dans le Morvan qui me semblait un décor idéal. » raconte le réalisateur. Le film doit être réécrit et après des années de gestation, l’auteur-réalisateur rencontre des difficultés : « Après trop d’années à travailler et réécrire, j’ai fini par me disperser un peu cette étendue de temps s’est révélée encombrante, il vaut mieux écrire intensément sur un lap de temps assez concentré. Pas sur des années. J’espère ne plus revivre ça ! ». Le scénariste Sebastian Sepulveda vient œuvrer pour aider, notamment sur le synopsis à revoir. Arnaud Malherbe s’isole lui dans une maison et décide d’aller au bout du processus d’écriture : « J’ai travaillé de manière monacale sur le scénario pendant quatre semaines ! ».

Dans ses influences directes, le scénariste-réalisateur évoque La Nuit du Chasseur, « La séquence de la barque a probablement été écrite inconsciemment en référence à ce film. », Princesse Mononoké pour son « lien entre enfance et nature, le lien avec le sauvage » et aussi Morse dont l’ancrage d’une figure monstrueuse mythique actualisé dans le monde contemporain est un autre exemple de comment Ogre réussit justement à traiter la figure de l’ogre, loin des visions plus courantes dans l’heroic-fantasy et bien loin de Shrek évidemment.

Si le cinéma de genre international, notamment américain, est une inspiration pour le réalisateur, le projet puise son idée dans le désir de faire du Morvan un décor épique de cinéma, entre le Western et le naturalisme rural : « J’ai trouvé cette inspiration car ma compagne a une maison de famille comme dans le film, isolée, sans chauffage, sans électricité, avec même les toilettes au fond du jardin ! Un territoire terrifiant donc pour un enfant ! ». C’est le point de vue de l’enfant qui domine dans le film, la réalisation embrasse donc cette perspective, en utilisant par exemple le Scope pour fabriquer un monde immense et effrayant. « C’est le film qu’un enfant se fait dans sa tête. Il faut se mettre au niveau de l’enfant, donc monter le curseur du son par exemple. » Le travail soigné sur le son, essentiel à l’intrigue permet en effet de donner du volume à l’univers du film. « L’appareil auditif de l’enfant ne correspond pas à une mouture réelle mais peu importe, c’est un accessoire qui sert à donner de la tension dramatique, parce que l’on peut voir l’enfant l’éteindre à dessein. »

Le tournage a lui-même était une aventure périlleuse ; entre le confinement qui a dû interrompre le travail, la grossesse nouvelle de l’actrice Ana Girardot et la crainte de voir l’enfant, Giovanni Pucci, grandir trop vite avant de pouvoir reprendre, l’angoisse fut intense. Cela a percuté également le scénario, Arnaud Malherbe a dû s’adapter et patienter mais il a tiré son épingle du jeu ; « J’en ai profité pour travailler sur des storyboards, je dessinai des bonhommes patates moches mais cela m’a permis de bien préparer la reprise du tournage avec ma cheffe opératrice [Pénélope Pourrait]. Finalement ces contraintes m’ont aidé à redevenir créatif dans ma réalisation ! ».

Quant à l’ogre du titre, il a donné lieu à tout un processus créatif. « Il n’y avais aucune incarnation du monstre dans le scénario, aucune description, il fallait laisser l’imaginaire du lecteur œuvrer. C’était surtout une menace, une silhouette effrayante. ». Au stade de la réalisation, l’auteur a favorisé une incarnation humaine, « c’est un ogre maigre parce qu’il a faim, je voulais éviter la référence à la peinture de Courbet, il fallait créer quelque chose d’autre ». C’est avec le Studio 69 à Montreuil et grâce à Olivia Alfonso que la glaçante créature a pu prendre vie avec sous le costume, l’acteur Fabien Houssaye. On vous laisse profiter de la chose à l’écran !

Reporté puis finalement sorti en salles le 20 avril 2022, le film ne remporte qu’un succès mitigé mais le scénariste réalisateur prend acte : « Je suis heureux quel que soit le succès, il peut y avoir une disproportion entre le désir des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs et celui du marché des films, peu importe. Acceptons que nos films de genre français fassent aussi des bides, la période est également difficile pour les salles de cinéma et la distribution… ». L’auteur se réjouit de voir néanmoins des films de genre français de plus en plus visibles ; « Il y a dans certains films français un jeu de ligne imaginaire qui partage le film entre réalisme et fantastique, je n’aime pas quand on ne franchit jamais clairement celle du fantastique ! Je ne crois pas en ces films français qui font les malins avec de minuscules motifs pour nous vendre du cinéma de genre mais qui ne veut pas faire du cinéma de genre. »

A l’argument récurrent de lier systématiquement le cinéma de genre à la culture américaine, Arnaud Malherbe contredit cette idée ; « Il faut d’ailleurs que le cinéma de genre français parle de nous, que nous racontions quelque chose que les autres pays ne peuvent pas faire… Il faut se défier ! ». Au menu de ses projets de genre à venir, une nouvelle série sur OCS et un projet de long métrage, un « film de fantôme, plus radical ». On attend donc tapis dans l’ombre la sortie de ces prochains frissons…

Remi Grelow