Discuter du métier de scénariste
Backstory l’Association a lancé auprès de ses membres des rendez-vous conviviaux pour discuter, échanger, voire débattre, du métier de scénariste et des métiers du scénario. Nommé « Débackstory », c’était notre dernière occasion de retrouvailles groupées, juste avant le confinement, mais cela n’a pas empêché d’aborder de nombreux thèmes lors d’une seconde cession en visioconférence.
19h30.
Une belle table de la discrète arrière-boutique d’une sympathique cave à bières du 9ème arrondissement. Les participant-e-s arrivent à leur rythme, s’accordant tous une halte pour choisir sa bière parmi le vaste choix proposé, trônant derrière la vitrine.
Remi Grelow commence par un état des lieux sur la fondation de la Fédération des Associations des Métiers du Scénario, qui réunit sept associations de scénaristes, et donc un nombre considérable d’adhérents à coordonner. La Fédération, encore jeune, se met progressivement en place. En attendant que les actions de la Fédération se concrétisent, le rôle de Backstory est de recueillir les remarques, questions et problèmes de ses membres pour les faire parvenir aux bonnes oreilles.
Quelles sont les difficultés du scénariste aujourd’hui ?
Ce premier point est l’occasion d’aborder pêle-mêle des interrogations et des thématiques. Également de ratisser différents aspects et enjeux des sujets qui nous lient. Sans pour le moment approfondir les solutions qui pourrait être envisagées.
Quand est-ce qu’on devient scénariste ? se demande un participant. Question délicate sur laquelle tout le monde se retrouve. « Tant qu’il n’y a pas eu de reconnaissance, c’est difficile de se proclamer scénariste. » ; « C’est dur de l’affirmer de le dire, tant qu’on n’en vit pas.». En somme, le fameux doute de la « légitimité ». A partir de là, nous avons a pu établir une gradation de réponses à la question du statut.
On se dit donc qu’on peut être scénariste…
… dès qu’on s’affirme en tant que tel.
A partir du moment où c’est l’un de nos objectifs personnels et professionnels majeurs pour lequel on consacre un temps conséquent ou qu’il s’agit d’un métier pour lequel on a été formé (voir diplômé), il n’y a pas de raison de ne pas se sentir légitime. Quelqu’un souligne que c’est assez spécifique à la France de minimiser ce titre et qu’il est plus simple de s’assumer scénariste à l’étranger. Plusieurs d’entre nous s’accordent pour dire qu’il est encore plus difficile de le « revendiquer » à la sortie du master et qu’il faut souvent attendre un premier contrat ou…
… dès qu’on a écrit quelque chose.
En parlant des moments où l’on s’est assumé scénariste, la question qui revient dans les histoires de chacun est la suivante : «Qu’est-ce que tu as écris?». Un travail concret est apparemment attendu du scénariste, comme une sorte de “book”, similaire à celui des photographes. Seulement un livre de photos est plus accessible qu’un tiroir de courts et long-métrages. Non, le plus simple dit l’un d’entre nous c’est de montrer quelque chose de produit.
Ainsi, pour certains, peut-être serait-on scénariste…
… dès qu’on a réalisé quelque chose.
Ici, des enjeux du débat sont remis en perspective. L’élément le plus attendu d’un scénariste est une production concrète. L’un avance que celle-ci est compliquée et coûteuse à obtenir, l’autre argumente qu’il est possible avec les moyens d’aujourd’hui de réaliser avec beaucoup d’indépendance. On met en lumière qu’il est plus facile de se démarquer auprès des festivals et des producteurs avec un budget et une bonne équipe (et c’est bien ce qui importe aujourd’hui, se faire remarquer, on y reviendra).
Un autre horizon accourt : l’un de nous souligne aussi que la réalisation est un autre domaine d’activité qui demande des capacités différentes et, plus simplement, des volontés, différentes. Tout scénariste n’aspire pas à devenir réalisateur, la profession de scénariste n’étant pas semblable à l’objet du scénario : un scénario est un objet inabouti par définition, un scénariste une profession en soi.
On revient à la question de la formation à l’écriture de scénario.
Alors que les boîtes de production sont à la recherche de concepts, de sujets, de personnages, les formations (notre cher #MSEA, la Fémis, le CEEA et autres formations et séminaires privés) apprennent aux apprentis scénaristes des structures et des bases dramaturgiques. Pour mieux s’en émanciper ? Le paradoxe réside dans cette interrogation : « Est-ce que les formations de scénario sont adaptées aux réalités du marché ? » Pour autant, plusieurs participants pensent qu’il est important de rester comme ça, « d’apprendre ces bases pour mieux s’en détacher. »
Une question plus large se pose : est-ce qu’il y a une vraie reconnaissance des formations de scénariste ?
Un brin fataliste, quelqu’un dit que finalement la formation, bien qu’essentielle dans le concret du travail scénaristique, ne sera pour le monde de l’audiovisuel qu’un élément plus ou moins conséquent au sein d’une vitrine plus large.
Dès lors, la discussion s’oriente sur la maîtrise de cette vitrine et tous ces gestes à appliquer pour l’entretenir. Chacun y va de son conseil :
– Bien présenter ses projets physiquement
– Savoir pitcher clairement aux bonnes personnes et aux bons endroits
– Avoir un compte LinkedIn
– Faire partie d’un trombinoscope (qu’on ne nommera pas par pure modestie)
– Rencontrer des gens du milieu (jusqu’à s’incruster aux cocktails VIP ?), parler de nos envies et projets avec eux et de garder les contacts dans l’éventualité d’une opportunité…
Toutes ces choses qui ne sont pas forcément évidentes pour ceux qui ne sont pas des pro des réseaux en ligne ou qui n’y ont pas une présence régulière, pour ceux qui n’ont pas de contact sur Paris, ceux qui ne sont pas à l’aise à l’oral et sont plus aptes à écrire ce qu’ils veulent exprimer plutôt qu’à l’expliquer.
Ce motif soulevé est vecteur de nouveaux raisonnements et la conversation continue d’être aussi énergique en gravitant autour de : l’insertion dans le milieu de l’audiovisuel français.
L’un de nous s’exprime sur son expérience : « Les tests de séries TV sont trop verrouillés. Si on ne connaît pas quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a eu vent de tests, on ne peut pas savoir ». Un vrai problème pour s’insérer dans les pools d’auteurs. On se le dit entre nous même si on l’a tous entendu d’ailleurs, les pools ça fait rêver : rare stabilité salariale dans un monde de l’écriture soumis à l’incertitude, richesse de contenu narratif, écriture en équipe…
Mais écrire pour la TV peut aussi avoir un double tranchant, souligne quelqu’un : il y a une pyramide officieuse du métier de scénariste, positive ou négative selon les situations et points de vue. Ainsi un scénariste peut être étiqueté et « réduit » à ce qu’il a écrit : «elle fait des courts », « il vient du feuilleton »… Si l’image de “scénariste de TV” nous colle trop à la peau, l’accès à l’écriture pour le cinéma a des risques d’être plus complexe.
Pourtant, comme un des participants le note, l’un des plus beaux aspects de ce métier est sa versatilité, la possibilité d’être éclectique et d’exploiter toutes les facettes de sa créativité. En tant qu’artisan d’histoires, un scénariste est censé pouvoir écrire pour tout format, à partir du moment où il en a maîtrisé/compris les codes et qu’il a un attachement personnel à ce format. Lancés dans l’auto-encensement du scénariste, nous entrons dans les exemples de travaux scénaristiques hors de l’audiovisuel.
On parle alors du storytelling moderne, du besoin d’histoire aujourd’hui, en dehors des oeuvres de fictions : pub, politique, design de sites internet, design d’espaces… Quelque chose dans la maîtrise des histoires dépasse la fiction. Satisfaits, l’étalage de nos capacités éclipse nos maigres opportunités, et l’ont se remet à rêver.
En témoigne la nouvelle phrase qui surgit au cours de la soirée : qu’est-ce qui nous a amené à ce métier et quels ont été nos modèles ? Malgré les belles réponses qui ont suivi, comme si la réalité souffrait d’être ignorée, nous sommes revenus dans le concret avec la fatidique question : Comment vivre en tant que scénariste ?
De connaissance personnelle du milieu, les membres présents concorde: scénariste est le plus souvent un métier à temps partiel et ce malgré le temps et le travail conséquent que demande l’écriture. Certains positivent en valorisant l’importance dumétier secondaire. Celui-ci peut nous sortir de nos ermitages et enrichir nos univers. Un exemple donné mentionne un passage par les métiers de la scène et de la réalisation. L’expérience nous amène à parler de la relation entre scénaristes et comédiens qui pourrait être le plus souvent inexistante dans le processus de production. Pourtant les deux professions sont extrêmement liées dans leur processus créatif (écriture/improvisation de dialogues, développement de personnage, intention de scène…).
Nous ne pouvons l’éviter : évoquons l’argent ! Nous disséquons alors l’état de la production cinématographique française, sur laquelle nous avons tous sans surprise un avis bien défini. La discussion s’enflamme et nous attirons même l’attention d’une table voisine – tout aussi emplie de bières – : d’autres spectateurs lambdas qui déplorent eux aussi la fascination du cinéma français pour les histoires vraies, le réalisme à tout prix ou l’utilisation de statistiques et d’analyses de “ce qui marche” pour produire. Un pari risqué étant donné la montée progressive de l’âge moyen du public français, qui perd peu à peu ses jeunes. Une discussion parallèle reprend le dessus: on se met à parler de la complexité de la production du format courtqui, malgré l’attrait de certains pour le format en tant que tel, reste plus un CV ou un «pré-long» pour beaucoup.
Les aides du CNC interrogent également. « Elles sont débloquées sur les séries TV, bien plus que sur le long et sur le court ». À partir du deuxième court, plus personne ne fait attention à vos courts : plus d’aide, plus de public, comme si la période de la simplicité était terminé et qu’il fallait passer à autre chose de plus conséquent. Mais que faire si à ce stade on n’est pas reconnu-e ?
Inéluctablement, en convoquant le format court, nous revenons sur les débuts en tant que scénariste. En effet, le premier pas se fait souvent par le biais du court métrage, or « il n’y a pas de vraies options » sur ceux-ci par les sociétés de production. Mais alors « quels sont les meilleurs biais pour être valorisé en tant que jeune scénariste ? ».
La question reste sans réponse claire, elle mériterait son propre débat. Mais quelqu’un de noter quand même : « Il n’y aurait peut-être pas tant de difficultés à réussir si le métier était légitimé dès le départ », ce qui nous ramène aux missions de la Fédération, évoquée par Rémi en préambule.
Jeanne Daniel, Vincent Feldman et Élie Katz