Rencontre avec Cédric Klapisch, Agnès Hurstel et Eugène Riousse (“Salade Grecque” sur Prime)
Il est dit que l’esprit d’un tournage se retrouve dans le film. Mais qu’en est-t-il de l’ambiance de l’écriture ? Difficile en effet d’imaginer que ce processus collaboratif aussi prenant et aussi demandant n’affecte pas le résultat final d’un film, encore moins celui d’une série. Pour le prouver, il faudrait que les making-of s’infiltre dans les writing room mais malheureusement, on s’intéresse encore assez peu à l’extraordinaire création qui y a lieu. Backstory a voulu résoudre ce tort le 21 avril dernier, à la MJC Mercoeur. En ce jour, nous avons l’honneur de recevoir une partie de l’équipe de scénaristes de la série Salade Grecque, diffusée sur Amazon Prime depuis le 14 avril. Et en seulement deux heures, l’excellent Eugène Riousse, la fabuleuse Agnès Hurstel et l’indétrônable Cédric Klapisch nous ont démontré, par l’épopée de leur écriture mais surtout par l’harmonie naturelle de leur trio, que cette essence si singulière tant recherchée d’une série, se trouve bien dans la rencontre de ses auteur•es et se forme dans leurs échanges.
Tout part d’un film, L’Auberge Espagnole, écrit et réalisé par Cédric Klapisch en 2002. Succès commercial international, le film avait pourtant, selon son réalisateur, une ambition assez simple : représenter une Europe unie par une jeunesse multiculturelle, désireuse de se construire un avenir ensemble. Devenues cultes, les aventures de ses protagonistes principaux, Xavier et Wendy, ont connu deux suites, Les Poupées Russes en 2005 puis Casse-tête Chinois en 2013. S’achevant sur un Xavier quarantenaire père de famille qui réussit enfin à se caser, la trilogie semblait toucher à sa fin. Comme nous le raconte Cédric Klapisch, les propositions et les idées d’adaptations n’ont pas manqué depuis, les franchises à succès représentant une manne difficile à laisser au placard. Bien que d’abord peu convaincu, Cédric Klapisch s’est pourtant laissé attirer par l’idée d’un retour aux origines de la franchise, modernisé. Profiter de son attrait pour laisser la parole à une nouvelle jeunesse européenne et faire le lien entre les générations. Fini le Xavier insouciant en Erasmus, découvrant le monde et des autres. Entrent ses enfants, lancés dans un combat commun pour un futur meilleur. Plus un film cette fois-ci mais une série. Un beau projet dont la volonté de renouvellement devrait s’incarner dès l’écriture, par une nouvelle génération d’auteur•es talentueux•ses.
En réunissant cette équipe, Cédric Klapisch récréait son auberge espagnole. Alors que Cédric Klapisch avait lui-même suivi un parcours de réalisateur à l’ancienne (prépa littéraire, électricien sur des tournages, école à New York, entrée progressive dans le cinéma et la réalisation…), il n’a pas essayé de trouver des profils similaires au sien mais plutôt des profils partageant cette vivacité et cet intérêt pour la jeunesse. Un groupe aux horizons créatifs différents, chacun poussé et porté par des thèmes propres, uni dans un même projet. C’est donc après un simple échange d’une heure avec chacun d’eux, et sans jamais les avoir lu, qu’il a rencontré Agnès Hurstel, Eugène Riousse et le reste de l’équipe. Agnès Hurstel nous raconte pour exemple qu’elle a longtemps été comédienne, essuyant de nombreux refus aux castings jusqu’à ce qu’elle se mette à écrire et se lance dans le stand-up, poussée par ses proches. Après avoir été repérée sur scène, elle a pu écrire et faire produire sa série Jeune et Golri, où elle incarne un jeune personnage en crise personnelle et relationnelle proche d’elle-même. Eugène Riousse vient quant à lui des Arts Décos, du dessin et de la bande-dessinée. Ses capacités créatives ainsi affutées, il avait plus de doutes sur ce qu’il avait à raconter, à apporter au public. Il a donc poursuivi son chemin à l’atelier série de la Fémis, écrits sur de nombreux projets et s’est essayé à la réalisation, une expérience révélatrice pour lui en tant qu’auteur. Deux profils qui se complétaient déjà de manière si évidente qu’on ne pouvait que rêver du beau puzzle que devait former l’ensemble de l’équipe de scénaristes de Salade Grecque.
Les talents ainsi réunis au sein de leur writing room, il était temps de se mettre au travail. Les trois auteurs nous expliquent qu’ils avaient peu d’éléments au départ, hormis la bible implicite de la trilogie originale et cette volonté de raconter les aventures des enfants de Xavier et Wendy. Chaque opus ayant été défini par la ville dans laquelle, le travail a commencé par le choix de l’arène. Quelle ville européenne pour représenter au mieux l’Europe actuelle et sa jeunesse ? Malgré quelques contre-propositions, la ville d’Athènes s’est imposée comme une évidence. Mêlant une histoire millénaire monumentale et une culture contemporaine vibrante, crise économique et crise migratoire, cette arène représentait parfaitement ce lien entre passé et présent à l’origine de la série. La trame autour de l’héritage du grand-père qui oppose les deux personnages principaux, Tom et Mia, est arrivée de la même manière. Deux personnages qui d’après Eugène Riousse et Agnès Hurstel n’étaient pas si différents au début de l’écriture. C’est seulement infusés des discussions et débats au sein de la writing room qu’ils ont gagné l’indépendance l’un de l’autre.
Le cap établi, il fallait encore naviguer. Les auteur•es se sont lancé•es dans des recherches sur des sujets proches des thèmes, arènes et personnages déjà établis. Régulièrement, chacun devait présenter aux autres un exposé sur un sujet potentiellement intéressant pour la série. Cédric Klapisch se rappelle de l’un d’entre eux qui explorait l’univers des squats, leur mise en place, leur système, leur apparence… Cette base, mêlée à une expérience vécue par la nièce du réalisateur qui habitait en haut d’un bâtiment dont les premiers étages étaient abandonnés, a donné naissance à cet immeuble partagé au cœur de la série. Peu à peu, des ébauches de sujets, de trames et surtout de personnages se sont formés grâce à ces recherches préliminaires. Mais il fallait concrétiser le tout, lui donner un poids, un réel. Ainsi toute l’équipe de scénaristes s’est rendu à Athènes afin de développer leur recherches et de rencontrer ces personnes qu’ils comptaient représenter. Un voyage « sans papa » nous raconte avec humour Agnès Hurstel, puisque Cédric Klapisch était à ce moment atteint du Covid, crise sanitaire qui a d’ailleurs beaucoup ralenti l’écriture. Simultanément à ces recherches approfondies, un casting a eu lieu à travers toute l’Europe. Il s’agissait de trouver des acteurs proches de l’identité des personnages déjà ébauchés, autant en termes de caractère, de nationalité que de sexualité. Ces profils réunis autant en amont de la production ont donné une matière consistante aux auteur•es pour former leurs personnages encore trop écrits. Les idées prenaient vie.
La série n’était pas une évidence pour tous. Les auteur•es de l’équipe n’étaient pas forcément familier ou encore très expérimentés avec ce format. Bien que Cédric Klapisch ait travaillé sur Dix pour Cent, Agnès Hurstel sur sa propre série et Eugène Riousse sur différents projets, l’intervention d’une consultante américaine ayant travaillé sur les plus gros projets de la chaîne AMC a été la bienvenue. Comme Cédric Klapisch le rappelle, une série nécessite une intensité dramatique constante, qui changeait beaucoup de ses films où « il ne se passe grand chose », ainsi qu’un esprit général structurant, cette fameuse essence de la série que le spectateur veut saisir et retrouver à chaque épisode. Aidés des sagessses américaines, un séquencier a pu être achevé et a lancé l’écriture des épisodes, chacun confié à un duo d’auteur•es.
Eugène Riousse nous raconte que cette écriture a largement été permise par les débats et conflits créatifs au sein de l’équipe. Dans ces moments, chacun s’attribue naturellement un rôle, une position. On doit avoir besoin de convaincre l’autre dans la writing room. Cela pousse les auteur•es à développer des argumentaires qui se retrouveront in fine dans la bouche et dans les actes des personnages. Un sujet qui ne divise pas les auteur•es ne captivera pas le spectateur. Ainsi chaque auteur avait ses opinions qui finissaient par se retrouver dans des personnages spécifiques, dont il se sentait proches. Eugène avait par exemple tendance à se retrouver en Tom, Agnès en Mia. Ils observent avec joie que les vannes qu’ils se lançaient durant l’écriture se sont souvent retrouvés directement dans la série. Malgré un premier document soumis à la plateforme considéré encore trop faible, l’équipe a poursuivi dans cette bonne mécanique qui leur a permis de garder le rythme et d’enchaîner les réécritures jusqu’à validation. Les auteur•es ayant accomplis leur mission, le tournage pouvait commencer.
Durant celui-ci, les scénaristes sont très peu intervenus en tant que tels mais sont tout de même resté proche de la réalisation. Agnès Hurstel a même réalisé son propre épisode et joué un rôle au sein de la série. Elle nous raconte même un instant d’envol lors du tournage d’un épisode où elle s’est retrouvée dans une scène, à table avec tous ces personnages qu’elle avait écrit. Un moment magique, iréel, dont il a fallu qu’elle se sorte pour continuer à jouer. Eugène Riousse nous décrit sa surprise de voir à quel point les épisodes étaient proches des scénarios écrits lors des premiers visionnages. De son expérience, les scénarios ont tendance à exploser lors du tournage, souvent à cause de contraintes techniques et parfois pour le meilleur. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé sur le dernier épisode. Cédric Klapisch nous raconte qu’il voulait s’y éloigner du scénario pour se permettre plus de liberté dans la mise en scène. L’équilibre entre cadre et contenu est subtil, mais tout peut fonctionner tant que les visions concordent.
Au moment de notre rencontre, Salade Grecque était diffusée depuis à peine une semaine. Cédric Klapisch nous explique que de manière générale, il évite de lire les critiques et préfère avoir le ressenti direct du public. Seulement pour une série, c’est un élément difficile à capter puisqu’il n’y a pas de projection publique où entendre les rires et les moments d’émotions. Il n’y a que des chiffres un peu froids, mais tout de même conséquents : c’est sûrement le projet du réalisateur qui sera le plus diffusé et le plus vu à l’international. Des retours positifs affluent déjà en ce sens des quatre coins du monde, au grand plaisir du réalisateur. Eugène Riousse et Agnès Hurstel, heureux de se retrouver et de revenir sur toute cette aventure ont conclu en soulignant l’importance du travail dans l’écriture ainsi que la confiance qu’il faut avoir en ses idées et en sa vision, et ce malgré ceux qui déconseilleront et décourageront toujours.
Nous nous sommes donc quittés sur ces mots, mettant fin à une belle rencontre, aussi passionante qu’inspirante. Backstory remercie encore l’exceptionnel trio, incarnation vivante de l’importance de la cohabitation des idées et des profils dans la conception d’une série.
Elie Katz