Le pitch, cet objet d’inquiétude

September 22, 2019

          Chaque année, les douze étudiant-e-s de la promotion du Master Scénario et écritures audiovisuelles de l’Université Paris Nanterre, achèvent leur cursus avec une soutenance du long métrage qu’ils ont écrit durant leur formation. En fait, les voilà en situation de « pitcher » leurs projets devant un jury. Comment se préparer à cet exercice oral, souvent craint par les scénaristes français ? Backstory L’Association essaie d’y répondre.

Le principe du « pitch » nous vient des Etats-Unis. Imaginons Rose, jeune scénariste inconnue des studios, qui croise un producteur important par hasard dans l’ascenseur. Elle n’a que le temps de la montée des quelques étages pour le convaincre d’acheter son brillant scénario. Pour cela Rose doit oralement résumer le synopsis de son œuvre, en donner les éléments clés, créer l’envie de découvrir ses personnages, plonger le producteur dans son univers et lui faire comprendre les enjeux émotionnels et thématiques tout en exprimant une idée claire de ses intentions d’autrice… Tout cela en deux minutes ! Rose est bien embarrassée, elle qui est si timide en plus :

« C’est l’histoire… Une planète loin heu… Les poules ont pris le pouvoir sur les humains ! Mais heu donc y a une résistance qui heu… En fait les résistants se cachent et un poussin qui heu… Le poussin aime les humains… Mais en fait il aide les rebelles…  C’est de la science-fiction heu enfin un peu comique aussi… ! Le titre c’est « Eggs Galactica » mais ça peut être aussi heu…»

Rose a bel et bien perdu l’attention du producteur qui a vécu les deux minutes en ascenseur les plus pénibles de sa carrière et qui aurait préféré manger du gravier que de l’écouter. Heureusement Rose a suivi une bonne formation de scénariste, elle n’a donc pas commis l’erreur de ne pas avoir préparé son pitch :

« Bonjour, je m’appelle Rose, scénariste. Puis-je vous parler de mon projet de long métrage, « Eggs Galactica » ?  Imaginez une drôle de planète où les poules et les coqs ont pris le pouvoir et réduit les humains en esclavage. Les humains ne pondent pas d’œufs mais les poules les exploitent comme du bétail et mangent les bébés brouillés ! Le timide Valentin, l’un des poussins de Pétunia, l’autoritaire Reine des poules, s’est pris d’affection pour les humains et a adopté Nora, une petite fille comme animal de compagnie. Grâce à Nora, Valentin découvre un réseau de résistance humain et décide de les aider à s’émanciper des poules ! C’est une satire tendance végétarienne, dans un registre de science-fiction. »

Le producteur (qui n’a manifestement pas vu « La Planète sauvage » dont Rose s’inspire) est ravi, quel drôle de projet. Il donne son e-mail à Rose, qu’elle lui envoie son script ! Comment Rose a réussi ce tour de force ? Elle a pris soin d’écrire son pitch pour synthétiser au mieux tout son film. Elle s’est exercée à faire son picth oralement à des amis, des collègues, elle a lâché ses notes et a évité le par-cœur pour favoriser l’appropriation instinctive. Bien joué Rose !

Cet exercice est devenu une norme dans la profession, on attend des scénaristes qu’ils et elles soient capables de « pitcher » efficacement leurs projets. Encore peu enseignée en France, l’oralité et l’exercice du pitch ont tendance à être négligée. Pourtant elle est très présente dès le processus d’écriture : on parle à ses co-auteurs, on discute des idées en résidence d’écriture, comme au Groupe Ouest ou dans le Master Scénario, on entend des retours sur son projet. Dans mon cas personnel par exemple, je favorise l’échange oral, je parle beaucoup de mon scénario avec de patientes amies scénaristes et autres, bien avant d’en écrire une V1 (bien que je ne me prive pas de nombreuses notes). Les résidences Sofilm ou les associations de scénaristes émergent-e-s, comme Séquences7 ou La Scénaristerie organisent des formations au pitch et des présentations de pitchs lors de festivals de cinéma et de télévision. Le principe est de donner envie aux producteurs de lire les projets et d’avoir une idée de la personnalité des auteurs et autrices.

Fin d’année scolaire, les étudiant-e-s du Master Scénario de Paris Nanterre se retrouvent donc devant un jury et doivent pitcher le long métrage écrit sous la direction d’un-e scénariste intervenant toute l’année dans le cursus. Devant eux-elles, les enseignants du Master et quelques producteurs et productrices invité-e-s, qui participent à la notation. Imaginons que Rose soit une étudiante de la promotion en cours, la voilà stressée à l’idée de passer devant cet imposant panel. Heureusement elle n’est pas seule.

Depuis sa création en 2018, Backstory L’Association a mis en place une journée de « simulation de soutenance », afin de préparer les étudiant-e-s à cet exercice. Des membres de l’association, scénaristes, se portent généreusement volontaires pour aider les étudiant-e-s qui s’entrainent à pitcher. L’idée est pour nous de les aider à dédiaboliser le jour J de la soutenance et à se concentrer sur la meilleure façon de valoriser leurs projets par l’oralité ; bonne écriture du pitch en amont, plan en tête, mots-clés à placer, ton à prendre. Cette prestation est la vitrine du scénario, elle oriente également les questions du jury.

Dans ce cas précis, les membres du jury ont lu les scénarios, ils connaissent déjà les histoires. Le défi pour les étudiant-e-s consiste donc à trouver le bon équilibre entre rappeler le résumé du script et diffuser leurs intentions, pour valoriser leur propos. Cette année nous avons affiné notre méthode en mettant la priorité sur les choix de l’étudiant-e, ce qu’il fallait mettre en avant du projet, en fonction de sa nature même. Au début les étudiant-e-s n’étaient pas à l’aise, certains passages ont nécessité des efforts émotionnels mais dans une ambiance bienveillante et relaxée, les pitchs se sont améliorés très vite.

Rose a donc joué le jeu, la voilà devant nous, elle commence, ses notes sous le nez, on lui retire. Rose doit se jeter à l’eau, faire confiance à sa connaissance de son propre scénario. Elle balbutie, cherche à organiser sa pensée, dépasse les quatre minutes que nous avions placé comme plafond… Piteuse, Rose nous exprime ses doutes et nous lui proposons des pistes pour refaire son « plan de pitch ». Elle laisse sa place à une camarade et va retravailler son pitch. Elle revient après et pitche à nouveau : c’est bien mieux ! Rose voit le progrès et continuera à s’exercer plus tard. Ses camarades ont attentivement suivi tous les passages, la discussion est ouverte, les échanges entre les membres volontaires et les étudiant-e-s favorisent une bonne émulation et des idées utiles pour améliorer chaque pitch.

Projetons-nous dans l’avenir : Rose passe sa soutenance, elle est soulagée car sa prestation était à la hauteur, le jury la remercie, lui fait des retours sur le scénario, négatifs et positifs, qui perturbent Rose, intimidée par cette journée si symbolique. Demain le Master sera acquis, elle sera lâchée dans la jungle professionnelle, elle profitera du premier réseau que lui offre Backstory mais quelle angoisse face à l’inconnu. Puis Rose sera admise dans une résidence d’écriture, elle pitchera durant un festival. Puis Rose sera sélectionnée devant une commission du CNC et devra présenter son projet. Puis Rose croisera une amie scénariste et lui racontera sa nouvelle idée. Cette amie veut écrire avec elle, c’est parti ! Puis Rose rencontre un agent, elle évoque ses projets, ses idées, l’agent a trouvé une autrice prometteuse… Rose n’a pas fini de parler, de pitcher, c’est le métier qui veut ça. Et elle est meilleure à chaque fois.

Bonne chance à la promotion 2019 du Master Scénario pour leur soutenance !

Remi Grelow