Métier : scénariste – Table ronde à La Roche-sur-Yon
Le 10ème Festival International du film de La Roche-sur-Yon a accueilli une table ronde exceptionnelle sur le métier de scénariste. Elle était proposée par l’ADEFI – Association pour le Développement de la Fiction et par Backstory L’Association. Rencontre avec Medenn Agan, Jeanne Aptekman et Marine Josset.
Mardi 15 octobre 2019, 14h00…
On les imagine tels des écrivains, vissés devant une machine à écrire Remington ou un écran d’ordinateur Apple. On les suppose vampirisés par Hollywood, forcément dépassés, comme le peureux Barton Fink ou encore manipulés et négligés comme les scénaristes émergents de Boulevard du Crépuscule. En France, on les confond souvent avec le réalisateur, représenté en intellectuel méticuleux essayant de filmer un chat non dressé dans La Nuit Américaine ou encore en mégalomane fier de lui, zozotant ses ordres et faisant désordre dans Le Redoutable.
L’image du scénariste n’existe pas beaucoup dans l’imaginaire collectif, on préfère raconter le tumulte des tournages et mettre en avant les acteurs et les actrices. Le scénariste, personnage de l’ombre et pourtant si essentiel à la création audiovisuelle car c’est par le scénario que tout commence.
Le métier n’a cessé d’évoluer, en parallèle de l’industrie audiovisuelle, depuis le cinématographe des Frères Lumière jusqu’à la plate-forme numérique de l’entreprise Netflix, on écrit des images et du son toujours avec la même passion créative et des exigences renouvelées. Alors c’est quoi le métier de scénariste ?
La rencontre commence avec un constat : écrire des scénarios c’est « désacraliser l’écriture » car il s’agit avant tout d’une écriture collaborative et associée à la technique. Marine souligne la spécificité de l’écriture de commande pour des séries télévisées ; l’univers et les personnages sont déjà campés, il s’agit bien de remplir les nécessités narratives de la série, de la structure de ses arches et de ses épisodes. Et surtout il s’agit de travailler en équipe et les scénaristes doivent s’accorder avec comme horizon commun, l’écriture de la série qui les engage. Medenn en tant que réalisatrice mêle davantage la pratique de son écriture et les préparatifs de son court métrage (recherches, repérages, casting…). Elle travaillerait avec plaisir avec des scénaristes pour renforcer les questions dramaturgiques. Elle cherche aussi dans la collaboration avec un scénariste une aide pour creuser ses propres désirs. Jeanne qui travaille avec des réalisateurs se satisfait d’être moins confrontée à des questions de coûts de production, ce qui incombe davantage au metteur en scène, sorte de chef de chantier du projet. Concentrée sur les aspects créatifs du récit, elle peut dialoguer en continu avec les réalisateurs pour avancer dans l’écriture du scénario. Parfois à distance ou parfois dans les bureaux de la production, selon les exigences ou le travail à fournir ; néanmoins le lien avec eux est quotidien et il faut parfois réserver des plages horaires pour d’autres travaux et pour sa vie personnelle.
C’est aussi la flexible organisation de leurs quotidiens qui les ont portées vers ces métiers. Peu motivée par des horaires fixes de bureau et des lieux uniques d’activité salariale, les scénaristes apprécient la grande variété de leurs horaires, des déplacements aléatoires, des rencontres et des cafés. Jeanne insiste aussi sur le quotidien parental, la possibilité d’aller chercher ses enfants à l’école tous les jours en choisissant ses horaires… Sans parler du soulagement de pouvoir travailler à domicile ! La liberté de ce métier, ressemblant à la vie d’un artisan ou d’une personne en freelance, conditionne beaucoup le choix des trois autrices. Garde à la personne qui ne sait pas être autonome et n’arrive pas à respecter les échéances ! Car il faut tout de même rendre des comptes, être productive même en période moins inspirée et il est courant de se retrouver à travailler le soir ou le week-end, en cas de rush. Medenn y voit justement aussi la manifestation du geste créatif, travailler à des horaires aléatoires permet aussi de ne pas se brimer : « Nos histoires vivent en nous et se nourrissent de n’importe quel moment. »
Les scénaristes évoquent ensuite le statut du métier de scénariste, un obscur statut d’auteur, moins à charge qu’un statut freelance mais incomparable avec un autre statut salarial : cotisations faibles, aucune convention collective ou tarifaire, droits d’auteur aléatoires, précarité imprévisible… Les scénaristes sont considérés comme des « indépendants non salariés », ce sont les seuls métiers de l’audiovisuel à ne pas être intermittents du spectacle, contrairement à ce que de nombreuses personnes croient. Marine souligne l’impossibilité de stabiliser un début de carrière sans ressources, les personnes soutenues par leur famille ou avec une trésorerie quelconque (héritage, chômage obtenu d’un ancien travail…) partent donc avantagées. En conséquence, Jeanne remarque qu’il y a une homogénéité sociale qui se perpétue, un milieu majoritairement « éduqué, blanc, de classe aisée ». Medenn insiste également sur le manque de décentralisation des productions, notamment télévisuelles. Cela oblige les auteurs régionaux à travailler hors du circuit de l’écriture pour le cinéma. C’est le cas pour bon nombre de techniciens non parisiens. Vivre à Paris exige aussi de bénéficier d’un minimum de ressources pour pouvoir maintenir un train de vie décent.
Des solutions existent, des idées fusent : salarier les scénaristes de télévision quand ils doivent se rendre à des journées types de bureau pour retrouver leur pool d’auteurs, tarifer l’écriture des documents selon une convention, penser à un statut professionnel mieux défini… Il manque encore une meilleure concertation des institutions et des associations du milieu pour faire évoluer et mieux protéger ce métier et ses activités variées. Les institutions perpétuent aussi un phénomène de reproduction sociale qui n’aide pas à rendre le milieu des scénaristes plus hétérogène. Déjà considérer que c’est un métier qui mérite salaire et sortir des habitus entretenus par de trop nombreux producteurs qui font travailler les scénaristes à moindre frais, souvent gratuitement, en leur faisant miroiter des ventes aux diffuseurs et des salaires repoussés, quand le projet « entrera en production ».
Si l’on souligne que le milieu se féminise toujours plus (par exemple, depuis dix ans, environ 65% de femmes étudient le scénario du Master Scénario de l’Université Paris Nanterre). Jeanne voit actuellement la reproduction d’un système phallocratique ou les décideurs, les producteurs, les diffuseurs etc, « écrasent » les autrices. Le métier de scénariste est traditionnellement déconsidéré en France depuis les années soixante, les femmes y sont donc « naturellement » à leur place et priées de ne pas faire de vague. Medenn s’inquiète du traitement similaire envers les réalisatrices. La phallocratie se manifeste à tous les niveaux de la société, que ce soit dans la rue ou dans une salle d’auteurs. Marine ajoute : « dans les ateliers dans lesquelles j’ai bossé, mes co-auteurs étaient souvent enclins à réfléchir sur des questions de sexisme, pour ne pas en reproduire les effets dans notre environnement de travail ou sur notre écriture. Par contre il y a un plafond de verre, je ne suis pas sûre que la parité soit au rendez-vous dans les postes de direction de collection, il faudrait vérifier… Et il faut voir le nombre quasi nul de séries qui sortent et qui sont portées par des femmes et c’est encore pire quand on est une femme non-blanche. »
Les exemples de dérives ou de manquement sont là et sont plus discutés qu’auparavant, entre initiatives du Collectif 50/50 et les paroles reléguées par le #MeToo, reste à voir comment le métier de scénariste peut se réinventer pour protéger administrativement et équitablement les auteurs et les autrices.
Pour parler de métier, la question de la formation est primordiale. Jeanne et Medenn sont autodidactes, ce qui permet d’éviter un certain formatage et d’enrayer un certain élitisme culturel qu’on retrouve dans les écoles franciliennes, observées par les étudiants aspirants cinéastes comme des temples d’excellence. Autodidacte ne signifie pas amateur pour autant, il faut se former et jouer les règles du métier, en tous les cas s’insérer d’une manière ou d’une autre dans le milieu. Pour Marine, diplômée déjà du Master Scénario et écritures audiovisuelles, la Fémis a surtout été vecteur d’opportunités professionnelles et sociales qui doivent beaucoup plus à la réputation de l’école qu’à la seule qualité des étudiant-e-s, dont les écoles attendent qu’ils et elles acquièrent les codes narratifs des formats sériels. Le constat est le même pour le CEEA, l’école bénéficie du soutien de chaînes de télévision, venant chercher des diplômés « à la source ». Les formations sont les premières garantes des qualités d’un métier, elles peuvent être évaluées en conséquence.
Tels les scientifiques ou les médecins, les scénaristes se mettent à jour sur l’évolution de leur métier, des pratiques, des formats d’écritures et réapprennent sans cesse. D’abord en écrivant souligne Jeanne et aussi en participant à diverses résidences d’écritures ou des formations spécifiques pour acquérir de nouvelles compétences. Medenn par exemple apprécie l’émulation et les rencontres qu’elle a fait dans sa résidence et attend également la prochaine avec intérêt. Car c’est aussi un métier de réseau, où la part humaine et les contacts sont primordiaux et indispensables. Il faut donc « réseauter » très tôt, ce qu’une école ou un Master professionnel permettent vite, ne pas s’isoler et se trouver des alliés professionnels. Bien choisir son entourage et se soutenir, la bienveillance est un mot d’ordre récurrent dans les diverses formations, pour adoucir un milieu malgré tout assez compétitif.
Quel conseil donner à une scénariste émergente ? Comme n’importe quelle carrière, il est bon de s’interroger sur le pourquoi : qu’ai-je besoin d’exprimer, de transmettre, quel est mon désir artistique ? Il faut aussi penser à la réalité du métier, jusqu’où suis-je prête à m’engager, humainement, artistiquement et matériellement ? Une évidence aussi : ne rien lâcher, participer à tous les concours, même ceux dont les critères sont limitants, un excellent projet peut ouvrir des portes… Et écrire, toujours écrire, développer sa pratique et son univers.
Comme le dit la scénariste et ancienne enseignante Claire Barré : « Écrire c’est réécrire ! »
Remi Grelow
Merci à Camille Chandellier et à l’ADEFI, merci au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon et au Cyel Pôle Culturel.
Créée en 2007, d’abord sous le nom d’OPCAL, l’ADEFI est une association de professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et des nouveaux médias. L’ADEFI œuvre notamment pour un plus fort développement de la fiction en région des Pays de la Loire. Elle est également très impliquée dans le soutien à l’émergence des auteurs, et défend la nécessité d’un plus grand nombre d’œuvres portées par des auteurs et des producteurs régionaux, une politique régionale basée uniquement sur l’accueil des tournages ne pouvant être suffisante pour le développement d’une filière.
L’ADEFI participe actuellement aux discussions avec la région pour mettre en place un programme d’accompagnement à l’écriture et une aide à l’écriture destinée aux auteurs régionaux, comme il en existe dans la plupart des autres régions, en veillant à ce que les auteurs de fiction soient inclus de manière juste et cohérente dans ces dispositifs.
Les invitées
Medenn Agan – Membre de l’ADEFI, Medenn a grandi en Aveyron, elle se définit comme faisant partie de la « génération des blogs », elle est passée par Sciences Po à Toulouse. Après une première expérience radiophonique pendant ses études, elle se tourne vers l’éducation populaire et atterrit au sein de l’association Les Quais de la Mémoire à Nantes comme animatrice audiovisuelle auprès d’adolescents. Depuis 2017, elle a le statut d’artiste-auteur et réalise des films de commande. En 2018, elle écrit et tu réalise un film avec les Ateliers de Réalisation. Elle intègre la résidence d’écriture de Gindou Cinéma avant la course aux financements l’année prochaine. En attendant, elle passera par la résidence de Tregor Cinéma pour l’écriture d’un nouveau projet de court métrage.
Jeanne Aptekman – Membre bienfaiteur de Backstory L’Association, elle a d’abord commencé par une thèse en Sciences du langage et philosophie puis s’est rapidement ennuyée à enseigner la linguistique. C’est en écrivant avec Hélène Bararuzunza un projet de série sur le Tribunal Pénal au Rwanda qu’elle fait ses premières armes en tant que scénariste. Depuis elle a été lectrice pour Canal+ et a développé d’autres projets, elle a été membre dans des commissions du CNC et a enseigné le scénario de série à Cinéfabrique à Lyon et à l’ESEC à Paris. Elle passée également par les workshops de scénaristes du Groupe Ouest où elle commence notamment à développer un projet de long métrage animation co-écrit avec Remi Grelow. En 2016, elle co-écrit le long métrage Frères Ennemis de David Oelhoffen, sorti en 2018, avec Reda Kateb et Matthias Schoenaerts. Elle écrit actuellement un nouveau projet avec le réalisateur Thierry de Peretti ainsi que le prochain film de Jean-Bernard Marlin, réalisateur de Shéhérazade (César du meilleur premier film en 2019).
Marine Josset – Membre actif de Backstory L’Association, elle est passée par des études de lettres et de cinéma, avant d’intégrer le Master Scénario et Ecritures Audiovisuelles de l’Université Paris Nanterre dont elle sort diplômée en 2015, avant de se spécialiser en 2017 en écriture de séries en faisant le cursus Création de Séries TV de la Fémis. Depuis elle travaille en tant que scénariste pour la télévision. En parallèle de divers projets personnels, elle écrit du scénario de commande, elle a travaillé pour des programmes variés comme le format court humoristique En Famille, du polar avec Cherif, de la comédie dramatique avec Sam , le teen drama avec SKAM France, grand succès jeunesse de France Télévisions.